lundi 4 juin 2012

Récit


Récit n.m. Relation écrite ou orale de faits réels ou imaginaires

C'est en 1956 que le joyau voit le jour. M. Et Mme. Zavadil en sont les heureux propriétaires. Sont-ils frère et soeur ou mari et femme ? Peut-être est-ce des jeunes mariés qui se lancent dans une folle aventure ? Pourquoi une bijouterie ? Est-ce une tradition familiale, un investissement prometteur, un secteur en pleine expansion ?

L'arcade qu'ils acquièrent est une aubaine. Située dans un beau bâtiment de l’îlot historique de la Tour Maîtresse, en plein coeur de Genève, elle leur garanti un avenir prometteur. Le volume est très beau, il y a du marbre aux murs, des plafonds hauts et des moulures. Néanmoins, ils désirent y apposer leur style et rendre l'environnement de leur nouvelle boutique plus contemporain.

Des parois de plâtre sont montées devant le mur d'origine puis recouverts d'un papier peint rayé vert. Les rayures sont nacrées, signe de préciosité. Une moquette est posée au sol, afin de le rendre plus agréable au pied. Cette dernière est verte elle-aussi, d'un ton qui s'harmonise avec les mur et a un motif en quadrillage. Finalement, un faux plafond est posé, selon le même quadrillage en diagonales que le sol, rabaissant considérablement la hauteur sous plafond. C'est l'entreprise autrichienne Norma qui réalise les travaux.

La bijouterie connaît certainement un âge d'or. On vient y acheter des bijoux pour une fiancée, des gourmettes pour un nouveau-né, des alliances que de jeunes époux s'échangeront en gage de leur fidélité. Le fleuron de l'horlogerie genevoise y est présenté. Des sourires, des regards brillants et émus, du passage, des présences, un bal...

Nous voilà déjà en 1985. Les Zavadil sont attachés à leur petite échoppe mais de grands magasins ont envahis les environs. Les choix proposés par ces derniers rendent l'offre marchande plus diversifiée. Des produits moins chers ont vus le jour. Malgré une clientèle d'habitués, la fréquentation du joyau décline, la tapisserie leur paraît tout à coup délavée, la moquette usée et salie. Ils décident qu'il est temps d'offrir un lifting à leur boutique.

Les moyens manquants peut-être, ou la nostalgie étant trop forte, les Zavadil ne retirent pas l'ancien revêtement mais ajoutent une couche. Ce choix nous permettra de remonter le temps tels des archéologues.

Après de grands débats devant l'infinité de possibilités de revêtements désormais proposée, ils optent pour le classique presque intemporel du bois de ronce, associé à des miroirs et à un faux plafond doré. Ils recréent ainsi une brillance multipliée qui permet aux clients de s'admirer tout en gardant un oeil attentif sur eux. De la ronce de noyer donc. - Oui mais en imitation. L'efficacité dans le temps des stratifiés est prouvée depuis quelques années et les Zavadil ne désirent pas connaître à nouveau la déconfiture du papier-peint délavé.

Christiane Zavadil en est toujours très satisfaite 20 ans après. La couleur n'a pas bougé, une tache s'élimine aisément et son effet décoratif est intact. Cependant, en 2012, elle est amenée à vendre son joyau. En effet, elle prend sa retraite et l'âge d'or de la bijouterie n'est plus qu'un lointain souvenir, elle est à bout de souffle.

C'est par un coup de téléphone surprenant que Christiane apprend alors que le nouveau propriétaire de l'arcade a tout vidé, qu'il s'est débarrassé de ce décor qui l'avait entouré tant d'années durant. Au téléphone, elle adopte un ton sévère et coupe court, elle préfère ne plus en entendre parler, le joyau est désormais derrière elle.

Un architecte ? - Elle ne se souvient plus. Une entreprise ? - Non plus. Des photos d'archive ? - Pas d'avantage, elle regardera, rappelleras peut-être – finiras par oublier.

Le joyau restera une énigme, à chacun d'imaginer l'histoire de ces murs, de recomposer librement autour de ces quelques éléments récupérés, recueillis.

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